Accueil Magazine La Presse Ali Chabbouh, ancien attaquant du COT «Une vocation sociale primordiale»

Ali Chabbouh, ancien attaquant du COT «Une vocation sociale primordiale»

Dans les années 1960 et 1970, le Club Olympique des Transports (ex-Club Olympique Tunisien) représentait incontestablement l’équipe la plus sympathique et la plus aimée par les supporters de tous bords: Clubistes et Espérantistes, Etoilés et Sfaxiens….
Sous le label du beau jeu, et des vertus du courage et de la combativité, il réussissait à faire l’unanimité. C’était l’Inter de Tunisie, en référence à ses couleurs nerazzurri.
Ali Chabbouh, grand attaquant ou milieu offensif, reconnaît que cet exemple de la réussite de l’expérience du parrainage doit son ascension à «Baba» Hmid Dhib, grand entraîneur-éducateur devant l’éternel.
«Notre jeu offensif et spectaculaire nous a valu la sympathie de tous les sportifs, se rappelle-t-il. Mais par-dessus tout, le COT a assuré sa vocation originelle, celle de promotion sociale dans un quartier «difficile», celui de Mellassine».

Ali Chabbouh, dites-nous d’abord qu’a représenté le COT pour vous ? 

Ma famille tout court. Il a sauvé des générations entières de la délinquance, compte tenu du quartier où il est implanté, celui de Mellassine. Bourguiba Junior, Mestiri, Sadok Ben Jemaâ, Khelifa Karoui…. venaient dans notre stade prendre un café. Je me suis donné pour mission de ne pas lâcher mon club, de défendre sa cause par le moyen qui m’est le plus accessible, facebook. A un certain moment, j’ai pu sensibiliser les autorités régionales qui demeurent, je crois, les mieux placées pour faire quelque chose en faveur du COT. Toutefois, de leur côté, les enfants du club doivent bouger. Les quartiers Helal, Mellassine, Zahrouni, Ezzouhour, Essabkha, Ettayarane… peuvent bénéficier d’infrastructures sportives modernes. Les citoyens doivent être une force d’impulsion afin d’accompagner les promesses des autorités.

Pourquoi le COT de votre époque n’a-t-il rien gagné ?

Nous aurions pu beaucoup gagner sans l’acharnement des arbitres. Je n’oublierai jamais notre quart de finale perdu contre l’Espérance Sportive de Tunis. Haj Zarrouk nous a  massacrés.Il nous était même arrivé de perdre en coupe face au FC Djerissa, des mains de l’arbitrage aussi. Il faut également avouer qu’avec un petit budget, notre objectif n’était pas vraiment les titres. Nous bénéficiions de la sympathie des gens. Chaque fois où nous jouons en lever de rideau, tout le public présent pour le match vedette n’arrête pas de nous encourager.

Votre carrière a été plutôt courte: seulement neuf ans avec les seniors. Pourquoi ?

J’ai souffert de beaucoup de blessures. Mon club m’envoyait me soigner en France grâce au soutien de feu Azouz Lasram qui était alors notre ambassadeur en France. Notre entraîneur Ahmed Belfoul m’alignait parfois alors que j’étais blessé. J’ai arrêté en 1971, l’année même où trois de mes coéquipiers furent suspendus par le COT dans l’affaire du match «vendu» à l’US Maghrébine (4-2 pour ce dernier). Pour la première fois, un club prenait de graves sanctions contre ses propres joueurs.

Avez-vous évolué en sélection ?

Avec l’équipe nationale A, non. J’ai été convoqué avec la sélection juniors et Espoirs qui était alors coachée par Belfoul. Nous avons participé à un tournoi en Arabie Saoudite.

Comment êtes-vous venu au football ? 

J’habitais Essabkha où j’ai joué avec Attouga, Abdeljabbar Bhouri… Les après-midi, nous pouvions trouver des terrains secs.  Après des études primaires à Radès, j’ai fréquenté le lycée Sadiki où j’avais comme camarade de classe Ali Babbou. Nous jouions à la grande place où est installée aujourd’hui la municipalité de Tunis. En 1959, j’ai fini par signer au Club Olympique des Transports, catégorie Cadets. Tout comme le Sfax Railways Sport, le COT était un club professionnel avant l’heure. Grâce au parrainage de la SNT, pour chaque joueur, l’avenir était assuré. Il était certain d’être embauché et d’avoir sa maison, pas gratuitement bien sûr. Personnellement, je n’y tenais pas énormément. Toutefois, mon entraîneur Hamid Dhib et notre dirigeant Abdelkader Ben Cheikh qui était PDG de la Société nationale des transports m’emmenèrent un soir pour choisir une maison.

Qu’avez-vous senti au moment de disputer votre première rencontre avec les seniors ?

Une joie indescriptible. C’était en 1962 alors que j’étais encore junior dans un match de L2. Il y avait dans l’équipe seniors entraînée par Hmid Dhib les Mohamed Bari «Cassidy», Lotfi Chaâr, Abdessalam Chaâtani, Abdeljabbar Bhouri, Gouchi (de Denden), Abdelaziz Gabsi, Brahim Berbag, Amor Dhib, Mohamed Ayari, Mohamed Ali Ben Brahim…Par la suite viendront Kamel Karia, Farouk, Houcine Ayari, Abdelmajid Jelassi…

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?

Ma famille vient de la ville de Somaâ, au Cap-Bon. J’ai perdu mon père, Ahmed en 1945, j’avais alors dix ans. Quand je quittais la maison pour aller jouer un match ou m’entraîner, ma mère Salha, une sorte de mère-courage, priait pour moi afin que je ne sois pas blessé.

A quel poste avez-vous évolué ?

Attaquant ou milieu offensif. Pas avant de pointe, mais en attaquant qui vient de derrière. Pourtant, je me rappelle qu’une fois, contre Al Mansoura, notre entraîneur Hmid Dhib m’avait aligné latéral gauche. Avec Amor Dhib, Lotfi Chaâr et Abdejabbar Bhouri, nous constituions un secteur offensif de tonnerre.

Quelles sont les qualités requises d’un bon attaquant ?

D’abord, physiquement, il doit être au top. Cela dépend énormément de l’hygiène de vie. Dans notre club, celle-ci était impeccable. Nous prenions nos repas dans un «Makhzen» à Mellassine. Sous le régime du parrainage, le COT possédait son propre restaurant. Un attaquant doit également avoir l’adresse, le timing et le flair.

Quel était votre modèle d’attaquant ?

Le Clubiste Tahar Chaibi. Il emportait tout sur son passage, tel un train au souffle ravageur. Je n’ai pas ses qualités. Il est unique. Abdelwahab Lahmar et Abdessalam Adhouma n’étaient pas mal non plus. Le «Pelé arabe» aussi. A mon avis, il était insensé de ne pas convoquer Mohieddine Habita en coupe du monde 1978.

A votre avis, quels furent les meilleurs attaquants du football tunisien ?

Je vais citer des attaquants et des milieux à vocation offensive. Chaibi, donc, mais aussi Abdessalam Chaâtani qui n’a pas eu sa chance en équipe nationale, Othmane Jenayah, le Cabiste Joulak, Aleya Sassi, Mongi Delhoum, Lahmar, Adhouma, Agrebi, Tarek, Mohieddine, Temime… Tous des joueurs hors norme.

Plus généralement, quels sont les plus grands joueurs tunisiens de tous les temps ?

Noureddine Diwa et Tahar Chaibi. Agrebi, Tarek, Temime et Mohieddine aussi dans la génération qui a suivi.

Et dans la génération actuelle ?

Je n’en vois pas. Les joueurs actuels, je les trouve «formatés» et «mécanisés». Où sont passés les milliards dépensés dans les centres de formation ? De nos jours, la recette est simple: le club dépense des millions pour recruter des joueurs prêts. Les intermédiaires sont au passage rémunérés. Ils prennent également leur part du gâteau. Il est vrai que l’argent a d’une certaine façon souillé le foot. Par ailleurs, nos équipes des jeunes ne participent plus aux tournois internationaux (Rijeka, Cannes….).

Quels furent vos entraîneurs ?

Hmid Dhib et Moncef Gabrane chez les jeunes. Puis Rachid Turki, Ahmed Belffoul et encore Hmid Dhib chez les seniors. Baba Hmid était le meilleur parmi eux.

Pourtant, il a une réputation de ne pas être tendre avec ses joueurs auxquels il lui arrivait de donner une bastonnade …

Oui, autant Hmid Dhib est sévère autant il est juste. Une fois, alors que j’étais encore junior, dans un match amical contre le Stade Tunisien, j’ai eu une altercation avec Brahim Kerrit qui était en fin de carrière. Notre entraîneur Dhib m’asséna une belle gifle.

Qu’a représenté Hmid Dhib pour vous ?

Beaucoup plus qu’un entraîneur, un père spirituel. Le COT lui doit d’avoir posé les bases du club. Son oeuvre a été fondatrice. Beaucoup plus tard, dans les années 1980, les Yahmadi, Msakni, Henchiri… qui ont gagné la coupe de Tunisie sont également quelque part ses enfants. Amor Dhib et moi-même, nous les avions formés selon sa propre méthode.

Vous avez eu sans doute affaire à beaucoup de défenseurs accrocheurs et coriaces. Vous vous en rappelez ?

Oui. Le Clubiste Mrad Hamza était le plus dur, il n’hésitait pas à employer les gros moyens. Avant nos matches contre le CA, Chaâtani disait toujours à son ami Attouga : «Eh, dites à Mrad de ne pas exagérer dans ses interventions !». Malgré tout, nous restions avec les joueurs du CA, de l’EST, du ST…. de grands amis. On mangeait ensemble.

Quel a été votre meilleur match ?

Contre le Stade Tunisien des Lahmar, Naoui, Mghirbi…, en lever de rideau au Zouiten. Nous avons gagné (3-2).

Votre meilleur souvenir ?

Lorsque nous avons battu l’Union Sportive Monastirienne chez nous (2-1) et à l’extérieur (1-0) pour le compte des barrages d’accession 1964-65. La première de notre histoire.

Et le plus mauvais ?

Notre relégation la saison d’après suite à une grosse déconvenue à Hammam-Lif. L’arbitre Moncef Ben Ali fit ce jour-là des siennes. Nous étions rentrés de la banlieue Sud à pied tellement nous étions frustrés, abasourdis. Chacun ruminait sa colère. Fort heureusement, sous la conduite de Rachid Turki et Ahmed Belfoul, nous allions vite réintégrer la division d’élite.

Quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire du COT ?

Chaâtani, Ben Brahim, Lotfi Chérif, un buteur-né, Ben Mansour…

La coupe de Tunisie 1988 demeure l’unique trophée du club. Un grand moment, non ?

Au contraire, il a détruit le COT. Depuis, le COT s’est engouffré dans une nuit sombre. Il y a eu des gens pour vendre des chimères aux supporters. Le parrainage a été annulé. Pourtant, à chaque fois où le COT accorde la priorité au volet social, les résultats suivent automatiquement. 

Qu’avez-vous fait après avoir raccroché ?

J’ai passé les trois degrés d’entraîneur et suivi des études en Roumanie, à l’Ecole supérieure des entraîneurs. Ensuite, j’ai entraîné un tas de clubs appartenant presque tous à la Ligue 2: l’Avenir Sportif de Gabès que j’ai fait accéder en 1984 pour la première fois de son histoire en L1, le COT (trois ans), Megrine, Bousalem, Makthar, Ben Guerdane, l’AS Djerba, Kasserine, Tataouine…J’ai également exercé aux Emirats avec Nadi Al Imarate et Al Chabab, et en Arabie Saoudite avec Al Jil. 

Votre équipe préférée, après le COT, bien entendu ?

L’Etoile Sportive du Sahel. Les Etoilés Othmane Jenayah et Hedi Ayech s’entraînaient avec nous puisqu’ils se trouvaient à Tunis. Notre dirigeant Khelifa Karoui était venu de Sousse. Le journaliste et présentateur de «Dimanche Sport» Raouf Ben Ali, aussi. Il a été l’un des fondateurs du COT. Il a énormément sacrifié pour les couleurs bleu et noir.

Avez-vous encouragé vos enfants à suivre une carrière dans le foot?

Non. Pourtant, mon enfant cadet Sami, qui a aujourd’hui 36 ans et qui gère une société d’informatique, je le portais tout jeune s’entraîner au Club Africain. Mais il a fini par abandonner car ses études ne lui laissaient plus de temps.

C’est votre enfant unique ?

Non. Avec Monica, une Roumaine Prof de sport que j’ai épousée en 1977, soit lors de ma dernière année d’études à l’Ecole supérieure des entraîneurs, en Roumanie, nous avons eu un autre garçon, Slim, 41 ans, ingénieur informaticien.

Quels sont vos hobbies ?

Je fais chaque jour une demi-heure de marche avec mon épouse. Je regarde le football européen à la télé. Comment ne pas s’émerveiller devant le spectacle venu d’une autre planète, proposé par Barcelone ? Je rencontre les amis au café. 

Enfin, êtes-vous intéressé par la politique ?

Non, pas vraiment. D’ailleurs, je ne regarde pas les plateaux politiques à la télé. Ne dit-on pas que la politique, c’est l’art de mentir à propos ! Quand je regarde le fossé qui existe entre le simple citoyen et les politiques qui lui vendent à longueur de journées—et ils ne se fatiguent jamais!—rien que du vent et des mensonges, eh bien, je ne peux que maudire la politique, non ?

Propos recueillis par Tarak GHARBI


Digest

Né le 24 janvier 1945 à Tunis

Première licence: 1959 COT cadets

Premier match seniors: 1962 en Ligue 2

Dernier match: 1971 quarts de finale coupe de Tunisie EST-COT (1-0)

Carrière d’entraîneur(détenteur du 3e degré): COT, ASG, USB, ASK, UST, ASD, AMS, CSM…., Al Jil en Arabie Saoudite, et Nadi Al Imarate et Al Chabab aux Emirats Arabes Unis.

Palmarès d’entraîneur: coupe de Tunisie cadets 1976, contre le SRS en finale; accession de l’ASG en Ligue 1 en 1984

Marié et père de deux enfants.

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